Synode pour l’Afrique – II Assemblée Spéciale pour l’Afrique 4 au 25 octobre 2009 – Témoignages

I semaine

Soeur Geneviève UWAMARIYA, Soeur de Sainte Marie de Namur (RWANDA)

«La réconciliation n’est pas tellement vouloir ramener ensemble deux personnes ou deux groupes en conflit. Il s’agit plutôt de rétablir chacun dans l’amour et de laisser advenir la guérison intérieure qui permet la libération mutuelle».

(…) Je suis une rescapée du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.
Une grande partie de ma famille a été massacrée dans notre église paroissiale. La vue de cet édifice me remplissait d’horreur et de révolte, tout comme la rencontre avec des prisonniers m’emplissait de dégoût et de rage.
C’est dans cet état d’âme que m’arriva un évènement qui a changé ma vie et mes relations.
Le 27/08/1997 à 13 h un groupe de l’association catholique des” Dames de la Miséricorde divine” m’entraîna deux prisons de la région de Kibuye, ma ville natale. Elles venaient préparer les prisonniers au Jubilé de 2000. Elles disaient: “si tu as tué, tu t’engages à demander pardon à la victime rescapée, comme cela tu l’aides à se libérer du poids de la vengeance, de la haine et de la rancune.
Si tu es victime, tu t’engages à offrir ton pardon à celui qui t’a fait du tort et ainsi tu l’ aides à se libérer du poids de son crime et du mal qui l ‘habite.
Ce message eut un effet inattendu pour moi et en moi …
Après cela, un des prisonniers se leva en larmes, tomba à mes genoux en suppliant à haute voix: “miséricorde”. Je fus pétrifiée en reconnaissant l’ami de la famille qui avait grandi et tout partagé avec nous.
Il m’avoua avoir tué lui même mon papa et me donna les détails sur la mort des miens.
Un sentiment de pitié et de compassion m’envahit: je le relevai, l’embrassai et lui dis dans les sanglots : ” tu es et tu restes mon frère ”
Je sentis alors un gros poids tomber. .. Je retrouvai la paix intérieure et je dis merci à celui que je tenais encore dans mes bras.
À ma grande surprise, je l’entendis crier: “la justice peut faire son travail et me condamner à mort, maintenant, je suis libéré ! …
Moi aussi je voulais crier à qui voulait m’entendre: “Viens voir ce qui m’a libérée, tu peux toi aussi retrouver la paix intérieure”.
À partir de ce moment, ma mission fut de parcourir des kilomètres pour porter le courrier des prisonniers demandant pardon aux rescapés. Ainsi 500 lettres ont été distribuées; et je rapportais le courrier de réponses des rescapés aux prisonniers redevenus mes amis et mes frères … Cela a permis des rencontres entre bourreaux et victimes. Des gestes concrets ont été nombreux pour marquer la réconciliation.

Un village pour veuves et orphelins du génocide fut construit par les prisonniers
-.Ainsi que le mémorial devant l’ église de Kibuye
- Des associations des ex prisonniers avec les rescapés sont nées, dans différentes paroisses et fonctionnent très bien.

De cette expérience, je déduis que la réconciliation n’est pas tellement vouloir ramener ensemble deux personnes ou deux groupes en conflit. Il s’agit plutôt de rétablir chacun dans l’amour et de laisser advenir la guérison intérieure qui permet la libération mutuelle.
Et c’est ici l’ importance de l’ Église dans nos pays puisqu’ elle a pour mission d’offrir La Parole: Une parole qui guérit, libère et réconcilie.

Soeur Felicia HARRY, N.S.A. (O.L.A.), Supérieure Générale des Soeurs de Notre-Dame des Apôtres (NIGERIA)

« En tant que religieuses d’Afrique, nous voudrions voir plus de collaboration avec les autorités de l’Église… une collaboration non seulement lorsque les décisions déjà prises doivent être appliquées, mais qui nous permette de participer au processus décisionnel » (Soeur Felicia HARRY).

La collaboration est ici le mot-clef, dans cette recherche de l’Église pour la réconciliation, la paix et la justice aujourd’hui en Afrique. En tant que religieuses d’Afrique, nous voudrions voir plus de collaboration avec les autorités de l’Église dans notre effort collégial visant à apporter le message du Christ à notre peuple. Une collaboration non seulement lorsque les décisions déjà prises doivent être appliquées, mais qui nous permette de participer au processus décisionnel, en amenant notre “génie” féminin fait de gentillesse, de tendresse et d’ouverture à l’écoute de la Parole et au service des autres à poursuivre dans la vie réelle des paroisses dans lesquelles nous travaillons. En plus d’enseigner le catéchisme aux enfants, de décorer les églises paroissiales, de nettoyer, de raccommoder et de confectionner les soutanes, nous, religieuses d’Afrique, voudrions participer aux différents conseils paroissiaux. Nous ne voulons pas demeurer à la périphérie du corps principal de la paroisse, nous voulons être une partie intégrante de ce corps. Nous ne voulons pas nous emparer de la responsabilité du curé, nous voulons simplement être des partenaires égaux dans la vigne du Seigneur; nous voulons prendre part à la responsabilité de l’Église d’assurer la réconciliation, la paix et la justice sur notre continent.
Le proverbe selon lequel la charité bien ordonnée commence par soi-même n’est pas déplacé dans ce contexte. Si notre Église en Afrique espère la réconciliation, la paix et la justice sur notre continent, nous devons commencer de l’intérieur. Comment peut-on faciliter ce processus?
Quelques suggestions:
- Aucun groupe ne devrait s’estimer supérieur au point de dominer
- Il devrait y avoir un changement de mentalité face aux femmes et spécialement aux religieuses dans notre Église d’Afrique
- Il devrait y avoir une conversion du cœur de tous.

Soeur Pauline ODIA BUKASA, F.M.S., Supérieure Générale des Soeurs “Ba-Maria”, Buta Uele (RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO)

La femme est marginalisée à tous les niveaux. Elle est presque exclue du processus global du développement du continent. Elle est victime des us et coutumes ancestrales et c’est elle qui, actuellement, porte le poids de tous les conflits armés qui déchirent l’Afrique et principalement la R.D. Congo. En ce moment où l’Église en Afrique s’engage à travailler pour la réconciliation de ses fils et filles, la femme ne peut plus être ignorée. (..)
Tout en reconnaissant les efforts que vous déployez déjà en faveur de la dignité de la femme, nous, vos mamans et femmes consacrées, vous demandons à vous nos Pères les Évêques dans cette Église Famille de: Promouvoir la dignité de la femme en lui assurant des espaces nécessaires pour le déploiement de ses talents dans les structures ecclésiales et sociales; Promouvoir les associations ou les ONG féminines qui luttent déjà pour la promotion de la femme à travers l’alphabétisation et l’éducation (..). Dénoncer toutes les violations faites aux femmes, aux enfants et tout un peuple et dire tout haut aux auteurs de cette tragédie, tant au niveau national qu’international, la grave responsabilité qui est la leur devant Dieu et devant l’histoire. Et que justice soit faite.

II semaine

Mme Marguerite BARANKITSE, fondatrice de la Maison Shalom, Ruyigi (BURUNDI)

Il y a exactement 16 ans, le Burundi plongeait encore une fois dans une guerre civile qui a duré 12 ans.
Mon témoignage (..) veut souligner combien ceux qui se disent chrétiens peuvent renier leur baptême quand il faut défendre leur appartenance ethnique.
C’était le 24 Octobre1993, nous étions réfugiés à l’évêché de Ruvigi, quand les assassins sont arrivés, comme ils étaient de mon ethnie je suis sortie la première pour les empêcher. Le premier assassin m’a répondu qu’il était avant tout Tutsi et qu’il devait venger ses frères et soeurs de sang. Je lui ai répondu que “Tutsi je ne l’ai pas choisi, mais mon baptême oui”.
Bien que chrétiens, ils n’ont pas eu honte de tuer devant moi. Aujourd’hui, sans demander pardon aux orphelins qu’ils ont laissés, ni à l’évêque (car ils ont brûlé son évêché), ils continuent à venir à la messe sans aucune honte au visage.
Nous avons appris à nous taire. Les pasteurs se taisent, les brebis se taisent et nous continuons nos célébrations dominicales comme des rites, mais non comme des communions fraternelles.
Ainsi, dans les régions où il y a la majorité de chrétiens, c’est là où nous trouvons beaucoup d’enfants de la rue, enfants soldats, enfants “sorciers”, etc. Ne les laissons pas aux seules mains des Ong!
Oui, chers pasteurs, chers religieux et religieuses, les enfants n’ont que nous comme familles et d’ailleurs ils vous appellent “papa” et “maman”. Ayez l’audace de leur ouvrir les portes de vos évêchés, couvents, maisons, pour leur offrir l’identité, l’affection familiale.
Imitons cet évêque dans “Les misérables” de Victor Hugo qui ouvrit sa cathédrale la nuit pour y loger tous les pauvres. Oui, ayons l’audace de faire de notre Afrique un lieu où il fait bon “vivre”.

Mgr Marcel Honorat Léon AGBOTON, Archevêque de Cotonou, Vice-Président de la Conférence Épiscopale (BÉNIN)

L’Église d’Afrique doit donc continuer d’annoncer la joyeuse nouvelle de la réconciliation et toujours proposer de la réaliser à travers les sacrements, notamment celui de la pénitence. Cette réconciliation par le sacrement de la Réconciliation est indispensable: elle est première et c’est d’elle que pour le chrétien, découle tout autre geste ou acte de réconciliation.
Je souhaite donc que ce synode redise une parole forte pour remettre au premier plan, dans la mission de réconciliation de l’Église, le Sacrement de la Réconciliation. Et cela,
- d’abord à notre niveau, à nous prêtres et évêques, ministres ordonnés. Il s’agit de redonner à l’exercice du ministère de la réconciliation par le sacrement, une place plus importante dans le programme pastoral de tout prêtre comme une sorte d’exigence de base de son ministère de tous les jours: heures d’écoute et de confession, tant dans sa forme individuelle que dans sa forme de célébration communautaire. Qu’une telle insistance soit inscrite dans la conscience des futurs prêtres durant leur formation autant qui y est inscrite la centralité de l’Eucharistie dans la vie du prêtre.
- Ensuite au niveau du peuple chrétien tout entier. En effet, vécus pleinement, les ministères de la réconciliation font de ceux et celles qui suivent Jésus Christ, de “vrais faiseurs” et acteurs de paix. L’homme juste, justifié en Christ par le ministère de l’Église est alors un acteur efficace pour un monde juste et réconcilié. Et si les fidèles laïcs sont davantage acteurs de réconciliation et de paix, dans le monde qu’ils ont de par leur vocation et mission.

Mgr George BIGUZZI, S.X., Évêque de Makeni, Président de la Conférence Épiscopale (SIERRA LEONE)

Je souhaite faire appel aux Pères synodaux afin qu’ils lancent un appel sans équivoque en faveur de l’abolition totale et universelle de la peine de mort.
De plus, le traitement brutal des prisonniers de guerre, la persécution des civils durant les conflits et le recrutement d’enfants soldats sont des crimes contre l’humanité, clairement énoncés dans la Convention de Genève et dans ses protocoles annexes. Le chemin vers la paix et la réconciliation passe par la reconnaissance, le rejet et la réparation de tels crimes. La guerre ne justifie en rien ces crimes contre l’humanité. La voix prophétique de l’Église est nécessaire bien qu’elle n’ait pas beaucoup d’auditeurs.
L’Église en Afrique a fait des pas de géant vers l’indépendance mais, dans de nombreuses régions, nous avons encore besoin du soutien d’autres Églises. Je suis sûr de pouvoir parler au nom d’autres évêques en exprimant notre sincère gratitude pour l’aide immense que nous recevons de l’Église en Europe, en Amérique du Nord et dans d’autres régions du monde. L’Église en de nombreuses zones d’Afrique sub-saharienne doit sa première évangélisation et sa croissance à l’effort missionnaire de l’Église dans le monde occidental.
Souvent, l’Église dans le monde occidental canalise son aide au travers de ses propres structures ecclésiales pour le développement et la coopération à l’étranger. Les noms de telles structures diffèrent d’un pays à l’autre, mais il s’agit de bureaux nationaux catholiques. À notre grande surprise, assez souvent, les directeurs ou les représentants de ces bureaux soutiennent ou débutent des projets en parallèle, ou même en dehors de nos plans pastoraux, sans consulter l’Évêque local ou la Conférence des Évêques nationale. Ils prennent parfois, sans nous consulter, des décisions portant sur quels projets financer, où les mettre en œuvre et quelle agence choisir pour les appliquer. Un tel système humilie l’Église locale, gaspille des ressources, ne garantit pas la continuité et ignore le potentiel effet d’évangélisation du travail de l’Église dans la société.
L’humble appel à nos frères évêques des pays occidentaux est d’émettre des directives claires au personnel s’occupant des bureaux chargés du développement afin qu’ils travaillent en consultation avec nous et suivant nos plans pastoraux et les priorités des Évêques africains.

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